Président de la Russie, Vladimir Poutine : Je ne suis pas sûr que le ton de mon discours sera très optimiste, mais
je sais que vous avez eu des discussions très animées au cours de ces trois
derniers jours. Je vais essayer, comme c’est maintenant devenu habituel, de
partager avec vous ce que je pense de certaines questions. S’il vous plaît, ne
le prenez pas mal si je dis quelque chose qui a déjà été dit car je n’ai pas
suivi toutes les discussions.
Pour commencer, je voudrais souhaiter la bienvenue à M. Karzaï, M. Ma, M. Toje, à nos collègues et à tous nos amis. Je peux voir beaucoup de visages familiers dans le public. Bienvenue à tous à la réunion du Club Valdaï.
Par tradition, ce forum se
concentre sur les questions politiques et économiques mondiales les plus
urgentes. Cette fois-ci, les organisateurs, comme on vient de le mentionner,
ont relevé un défi assez difficile en demandant aux participants d’essayer de
regarder au-delà de l’horizon, de réfléchir aux prochaines décennies pour la
Russie et la communauté internationale.
Bien sûr, il est impossible
de tout prévoir et de prendre en compte toutes les chances et tous les risques
auxquels nous serons confrontés. Cependant, nous devons comprendre et ressentir
les principales tendances, chercher des réponses en dehors du cadre aux
questions que le futur nous pose pour le moment et il en posera sûrement
d’autres plus tard. Le rythme des développements est tel que nous devons y
réagir constamment et rapidement.
Le monde est entré dans une
ère de changement rapide. Des choses que l’on a qualifiées de fantastiques ou
qui étaient inaccessibles sont devenues une réalité et une partie de notre vie
quotidienne.
Des processus
qualitativement nouveaux se déroulent simultanément dans toutes les sphères. La
vie publique trépidante dans divers pays et la révolution technologique sont
étroitement liées aux changements sur la scène internationale. La concurrence
pour une place dans la hiérarchie mondiale est exacerbée. Cependant, de
nombreuses recettes du passé pour la gouvernance mondiale, pour le dépassement
des conflits ainsi que pour résoudre les contradictions naturelles ne sont plus
applicables. Elles échouent trop souvent, et de nouvelles n’ont pas encore été
élaborées.
Naturellement, les intérêts
des États ne coïncident pas toujours, loin de là. C’est normal et naturel. Cela
a toujours été le cas. Les puissances dirigeantes ont différentes stratégies
géopolitiques et perceptions du monde. C’est l’essence immuable des relations
internationales, qui reposent sur l’équilibre entre la coopération et la
compétition.
Certes, lorsque cet
équilibre est rompu, lorsque l’observance et même l’existence de règles de
conduite universelles sont mises en question, lorsque les intérêts sont
bousculés à n’importe quel prix, les disputes deviennent imprévisibles et
dangereuses et conduisent à des conflits violents.
Pas un seul problème
international réel ne peut être résolu dans de telles circonstances et dans un
tel cadre, et donc les relations entre les pays se dégradent, simplement. Le
monde devient moins sûr. Au lieu du progrès et de la démocratie, carte blanche
est donnée aux éléments radicaux et aux groupes extrémistes qui rejettent la
civilisation elle-même et cherchent à la plonger dans un passé ancien, dans le
chaos et la barbarie.
L’histoire de ces dernières
années illustre graphiquement tout cela. Il suffit de voir ce qui s’est passé
au Moyen-Orient, que certains acteurs ont tenté de remodeler et de reformater à
leur goût et de lui imposer un modèle de développement étranger par des coups
d’État orchestrés extérieurement ou simplement par la force des armes.
Au lieu de travailler ensemble
pour redresser la situation et porter un véritable coup au terrorisme plutôt
que de simuler une lutte contre celui-ci, certains de nos collègues font tout
leur possible pour que le chaos dans cette région soit permanent. Certains
pensent encore qu’il est possible de gérer ce chaos.
En attendant, il y a quelques
exemples positifs dans l’expérience récente. Comme vous l’avez probablement
deviné, je fais référence à l’expérience de la Syrie. Cela montre qu’il existe
une alternative à ce genre de politique arrogante et destructrice. La Russie
s’oppose aux terroristes avec le gouvernement syrien légitime et les autres
États de la région et agit sur la base du droit international. Je dois dire que
ces actions et ce progrès n’ont pas été faciles. Il y a beaucoup de dissensions
dans la région. Mais nous nous sommes fortifiés avec patience et, pesant nos
moindres gestes et paroles, nous travaillons avec tous les participants à ce
processus avec le respect dû à leurs intérêts.
Nos efforts, dont les résultats
n’ont pas été remis en question jusqu’à récemment par nos collègues, nous
laissent maintenant – laissez-moi le dire avec prudence – entrevoir un peu
d’espoir. Ils se sont révélés très importants, corrects,
professionnels et opportuns.
Ou, prenez un autre exemple :
le bras de fer autour de la péninsule coréenne. Je suis sûr que vous avez
également traité de cette question de façon approfondie aujourd’hui. Oui, nous
condamnons sans équivoque les essais nucléaires menés par la RPDC et nous nous
conformons pleinement aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU
concernant la Corée du Nord. Chers collègues, je tiens à le souligner pour
qu’il n’y ait pas d’interprétation discrétionnaire. Nous respectons toutes les
résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.
Cependant, ce problème ne peut,
bien sûr, être résolu que par le dialogue. Nous ne devrions pas bloquer la
Corée du Nord dans un coin, la menacer de représailles musclées, nous abaisser
à la grossièreté ou à l’invective. Que quelqu’un aime ou n’aime pas le régime
nord-coréen, nous ne devons pas oublier que la République populaire
démocratique de Corée est un État souverain.
Tous les différends doivent
être résolus de manière civilisée. La Russie a toujours
favorisé une telle approche. Nous sommes fermement convaincus que même les
nœuds les plus complexes – que ce soit la crise en Syrie ou en Libye, dans la
péninsule coréenne ou, disons, en Ukraine – doivent être démêlés plutôt que
coupés.
La situation en Espagne
montre clairement à quel point la stabilité peut être fragile même dans un État
prospère et établi. Qui aurait pu s’attendre, même
tout récemment, à ce que la discussion sur le statut de la Catalogne, qui a une
longue histoire, aboutisse à une crise politique aiguë ?
La position de la Russie est
connue ici. Tout ce qui se passe est une
affaire interne à l’Espagne et doit être réglé sur la base de la loi espagnole
conformément aux traditions démocratiques. Nous sommes conscients que
le leadership du pays prend des mesures à cette fin.
Dans le cas de la Catalogne,
nous avons vu l’Union européenne et un certain nombre d’autres États condamner
à l’unanimité les partisans de l’indépendance.
Vous savez, à cet égard, je ne
peux pas m’empêcher de noter que plus de réflexion aurait dû avoir lieu plus
tôt. Quoi, personne n’était au courant de ces désaccords
séculaires en Europe ? Ils l’étaient, n’est-ce pas ? Bien sûr, qu’ils
l’étaient. Cependant, à un moment donné, ils se sont félicités de la
désintégration d’un certain nombre d’États en Europe sans cacher leur joie.
Pourquoi étaient-ils si
irréfléchis, motivés par des considérations politiques éphémères et leur désir
de plaire – je le dis sans détour – à leur grand frère à Washington, en
apportant leur soutien inconditionnel à la sécession du Kosovo, provoquant
ainsi des processus similaires dans d’autres régions d’Europe et dans le
monde ?
Vous vous souvenez peut-être
que lorsque la Crimée a également déclaré son indépendance, puis – suite au
référendum – sa décision de faire partie de la Russie, cela n’a pas été bien
accueilli pour différentes raisons. Nous avons maintenant la
Catalogne. Il y a un problème similaire dans une autre région, le Kurdistan. Peut-être que cette liste est loin d’être exhaustive. Mais nous devons
nous demander : qu’allons-nous faire ? Que devrions-nous penser à ce
sujet ?
Il se trouve que certains de
nos collègues pensent qu’il y a de « bons » combattants
pour l’indépendance et la liberté et qu’il y a des « séparatistes » qui
n’ont pas le droit de défendre leurs droits, même avec l’utilisation de
mécanismes démocratiques.
Comme nous le disons
toujours dans des cas similaires, de tels doubles standards – et c’est un
exemple flagrant de double standard – constituent un grave danger pour le
développement stable de l’Europe et des autres continents et pour l’avancement
des processus d’intégration à travers le monde.
À un moment donné, les
défenseurs de la mondialisation essayaient de nous convaincre que
l’interdépendance économique universelle était une garantie contre les conflits
et la rivalité géopolitique. Hélas, cela ne s’est pas produit. De plus, la
nature des contradictions s’est complexifiée, devenant multicouche et non
linéaire.
En effet, alors que
l’interdépendance est un facteur restrictif et stabilisateur, nous assistons
également à un nombre croissant d’exemples de politiques qui interfèrent
grossièrement avec les relations économiques et le marché. Tout récemment, il y
a eu des avertissements que c’était inacceptable, contre-productif et qu’il
fallait l’éviter. Maintenant, ceux qui ont fait de telles déclarations font
aussi cela eux-mêmes. Certains ne cachent même pas qu’ils utilisent des
prétextes politiques pour promouvoir leurs intérêts strictement commerciaux. Par exemple, le récent paquet de sanctions adopté par le Congrès
américain vise ouvertement à évincer la Russie des marchés européens de
l’énergie et à obliger l’Europe à acheter du GNL américain plus coûteux, bien
que l’ampleur de sa production soit encore trop faible.
Des tentatives sont faites pour
créer des obstacles à nos efforts pour forger de nouvelles voies énergétiques –
South Stream et Nord Stream – même si la diversification de la logistique est
économiquement efficace, bénéfique pour l’Europe et favorise sa sécurité.
Je le répète : il est
naturel que chaque État ait ses propres intérêts politiques, économiques et
autres. La question est le moyen par lequel ils sont
protégés et promus.
Dans le monde moderne, il
est impossible d’obtenir un gain stratégique au détriment des autres. Une telle
politique fondée sur l’auto-suffisance, l’égoïsme et les prétentions à
l’exceptionnalisme n’apportera aucun respect ou véritable grandeur. Cela
suscitera un rejet et des résistances naturelles et justifiées. En conséquence,
nous verrons la croissance continue des tensions et de la discorde au lieu
d’essayer d’établir ensemble un ordre international sérieux et stable, et de
relever les défis technologiques, environnementaux, climatiques et humanitaires
auxquels est confrontée toute l’espèce humaine aujourd’hui.
Collègues, le progrès
scientifique et technologique, l’automatisation robotisée et la numérisation
entraînent déjà de profonds changements économiques, sociaux et culturels ainsi
que des changements de valeurs. Nous sommes maintenant devant des perspectives
et des chances jusqu’alors inconcevables. Mais en même
temps, nous devrons trouver des réponses à beaucoup de questions. Quelle
place occuperont les gens dans le triangle « humains-machines-nature » ?
Quelles mesures seront prises par les États qui ne parviennent pas à offrir des
conditions de vie normales en raison des changements climatiques et
environnementaux ? Comment l’emploi sera-t-il
maintenu à l’ère de l’automatisation ? Comment le serment d’Hippocrate
sera-t-il interprété une fois que les médecins auront des capacités semblables
à celles de sorciers tout-puissants ? Et l’intelligence humaine va-t-elle
finalement perdre la capacité de contrôler l’intelligence artificielle ?
L’intelligence artificielle deviendra-t-elle une entité séparée, indépendante
de nous ?
Auparavant, en évaluant le rôle
et l’influence des pays, nous parlions de l’importance du facteur géopolitique,
de la taille du territoire d’un pays, de sa puissance militaire et de ses
ressources naturelles. Bien sûr, ces facteurs sont
toujours d’une importance majeure aujourd’hui. Mais il y a maintenant un autre
facteur : le facteur scientifique et technologique qui, sans aucun doute,
a aussi une grande importance, et celle-ci ne fera qu’augmenter avec le temps.
En fait, ce facteur a
toujours été important, mais maintenant il aura le potentiel de transformer le
jeu, et très bientôt, il aura un impact majeur dans les domaines de la
politique et de la sécurité. Ainsi, le facteur scientifique et technologique
deviendra un facteur d’importance universelle et politique.
Il est également évident que
même les toutes dernières technologies ne seront pas en mesure d’assurer un
développement durable par elles-mêmes. Un avenir harmonieux est impossible sans
responsabilité sociale, sans liberté et sans justice, sans respect des valeurs
éthiques traditionnelles et de la dignité humaine. Autrement, au
lieu de devenir un monde de prospérité et de nouvelles opportunités, ce « meilleur
des mondes » se
transformera en un monde de totalitarisme, de castes, de conflits et de plus
grandes divisions.
Aujourd’hui, les inégalités
croissantes se traduisent déjà par des sentiments d’injustice et de privation
chez des millions de personnes et des nations entières avec pour résultat la
radicalisation, le désir de changer les choses de toutes les façons possibles,
jusqu’à inclure la violence.
En passant, cela s’est déjà
produit dans de nombreux pays, et également en Russie, notre pays. Les percées
technologiques et industrielles réussies ont été suivies de bouleversements
dramatiques et de perturbations révolutionnaires. Tout cela est arrivé parce
que le pays n’a pas réussi à résoudre les discordes sociales et à surmonter à
temps les anachronismes clairs dans la société.
La révolution est toujours le
résultat d’un déficit de responsabilité à la fois pour ceux qui souhaitent
conserver, geler sur place un ordre des choses désuet, et ceux qui aspirent à
accélérer les changements, en recourant à des conflits civils et à une
résistance destructive.
Aujourd’hui, alors que nous
nous tournons vers les leçons du siècle dernier, à savoir la Révolution russe
de 1917, nous voyons combien ses résultats ont été ambigus, à quel point les
conséquences négatives et, nous devons aussi le reconnaître, positives de ces
événements sont entrelacées. Demandons-nous : n’était-il pas possible de
suivre un chemin évolutif plutôt que de passer par une révolution ? Ne
pourrions-nous pas avoir évolué par un mouvement progressif et cohérent plutôt
que de détruire notre État et de briser impitoyablement des millions de vies
humaines ?
Cependant, le modèle social et
l’idéologie, en grande partie utopique, que l’État nouvellement formé a essayé
de mettre en œuvre à la suite de la révolution de 1917, a été un puissant
moteur de transformations à travers le monde (ceci est clair et doit être
reconnu), provoquant une réévaluation majeure des modèles de développement.
Mais cela a donné lieu à la rivalité et la concurrence, dont les avantages, je
dirais, ont été engrangés la plupart du temps par l’Occident.
Je ne parle pas seulement des
victoires géopolitiques qui ont suivi la guerre froide. Beaucoup de
réalisations occidentales du XXe siècle l’ont été en réponse au
défi posé par l’Union Soviétique. Je parle d’élever le niveau de vie, de former
une classe moyenne forte, de réformer le marché du travail et la sphère
sociale, de promouvoir l’enseignement, de garantir les droits des femmes et des
minorités, de surmonter la ségrégation raciale qui, vous vous en souvenez
sûrement, était une pratique honteuse dans de nombreux pays, y compris aux
États-Unis, il y a encore quelques décennies.
À la suite des changements
radicaux qui ont eu lieu dans notre pays et dans le monde au tournant des
années 1990, une occasion vraiment unique s’est présentée d’ouvrir un chapitre
vraiment nouveau dans l’histoire. Je veux dire la période après que l’Union Soviétique
a cessé d’exister.
Malheureusement, après s’être
partagé l’héritage géopolitique de l’Union soviétique, nos partenaires
occidentaux se sont convaincus de la justesse de leur cause et se sont déclarés
vainqueurs de la guerre froide, comme je viens de le dire, ont ouvertement
interféré dans les affaires des États souverains et ont exporté la démocratie
tout comme les dirigeants soviétiques avaient essayé d’exporter la révolution
socialiste vers le reste du monde à leur époque.
Nous avons été confrontés à la
redistribution des sphères d’influence et à l’expansion de l’OTAN. L’excès de
confiance conduit invariablement à des erreurs. Le résultat est malheureux.
Deux décennies et demi ont été perdues, beaucoup d’occasions manquées et un
lourd fardeau de méfiance réciproque. Le déséquilibre mondial n’a fait que
s’intensifier.
Nous entendons des déclarations
sur l’engagement à résoudre des problèmes mondiaux, mais en fait, ce que nous
voyons, c’est de plus en plus d’exemples d’égoïsme. Toutes les institutions internationales
destinées à harmoniser les intérêts et à formuler un programme commun
s’érodent. Les traités de base internationaux multilatéraux et les accords
bilatéraux d’une importance cruciale sont dévalués.
On m’a répété, il y a quelques
heures à peine, que le président américain avait dit quelque chose sur les
médias sociaux au sujet de la coopération russo-américaine dans le domaine
important de la coopération nucléaire. Il est vrai que c’est la sphère
d’interaction la plus importante entre la Russie et les États-Unis, sachant que
la Russie et les États-Unis ont une responsabilité particulière envers le monde
en tant que les deux plus grandes puissances nucléaires.
Cependant, j’aimerais
profiter de cette occasion pour parler plus en détail de ce qui s’est passé au
cours des dernières décennies dans ce domaine crucial, pour donner une image
plus complète. Cela prendra au maximum deux minutes.
Plusieurs accords bilatéraux
historiques ont été signés dans les années 1990. Le premier, le programme Nunn-Lugar, a
été signé le 17 juin 1992. Le second, le programme HEU-LEU, a été
signé le 18 février 1993. L’uranium hautement enrichi a
été transformé en uranium faiblement enrichi, d’où HEU-LEU.
Les projets relevant du premier
accord ont porté sur l’amélioration des systèmes de contrôle, la comptabilité
et la protection physique des matières nucléaires, le démantèlement et la mise
au rebut des sous-marins et des générateurs thermoélectriques de
radio-isotopes. Les Américains ont procédé – et s’il vous plaît prêtez bien
attention ici, ce n’est pas une information secrète, simplement peu de gens
sont au courant – à 620 visites de contrôle en Russie pour vérifier notre
conformité avec les accords. Ils ont visité les lieux saints les plus saints du
complexe nucléaire russe, à savoir les entreprises engagées dans le
développement d’ogives nucléaires et de munitions, ainsi que du plutonium et de
l’uranium de qualité militaire. Les États-Unis ont eu accès
à toutes les installations top-secrètes en Russie. En outre, l’accord était de
nature presque unilatérale.
Dans le cadre du deuxième
accord, les Américains ont effectué 170 visites supplémentaires dans nos usines
d’enrichissement, entrant dans leurs zones les plus restreintes, telles que les
unités de mélange et les installations de stockage. L’usine d’enrichissement
nucléaire la plus puissante du monde – le Complexe électrochimique de l’Oural –
disposait même d’un poste d’observation américain permanent. Des emplois
permanents ont été créés directement dans les ateliers de ce complexe où les
spécialistes américains allaient travailler tous les jours. Les pièces où ils
étaient assis dans ces installations russes top-secrètes avaient des drapeaux
américains, comme c’est toujours le cas.
En outre, une liste de 100
spécialistes américains provenant de 10 organisations américaines différentes a
été dressée et autorisée à effectuer des inspections supplémentaires à tout
moment et sans avertissement. Tout cela a duré 10 ans. En
vertu de cet accord, 500 tonnes d’uranium de qualité militaire ont été retirées
de la circulation militaire en Russie, ce qui équivaut à environ 20 000 têtes
nucléaires.
Le programme HEU-LEU est devenu
l’une des mesures les plus efficaces de véritable désarmement dans l’histoire
de l’humanité – je le dis en toute confiance. Chaque étape du côté russe a été
suivie de près par des spécialistes américains, à une époque où les États-Unis
se limitaient à des réductions beaucoup plus modestes de leur arsenal
nucléaire, et ce, sur une base purement commerciale.
Nos spécialistes ont également
visité des entreprises du complexe nucléaire américain, mais seulement à leur
invitation et dans des conditions définies par la partie américaine.
Comme vous le voyez, la partie
russe a fait preuve d’une ouverture et d’une confiance absolument sans
précédent. Incidemment – et nous en reparlerons probablement plus tard – nous
savons aussi ce que nous en avons reçu en retour : négligence totale de
nos intérêts nationaux, soutien au séparatisme dans le Caucase, opérations
militaires qui ont contourné le Conseil de sécurité de l’ONU, comme le bombardement
de la Yougoslavie et de Belgrade, introduction de troupes en Irak et ainsi de
suite. Eh bien, c’est facile à comprendre : une fois que l’état du
complexe nucléaire, des forces armées et de l’économie a été inspecté, le droit
international ne semblait plus nécessaire.
Dans les années 2000, notre
coopération avec les États-Unis est entrée dans une nouvelle phase de
partenariat véritablement équitable. Elle a été marquée par la signature d’un
certain nombre de traités et d’accords stratégiques sur les utilisations
pacifiques de l’énergie nucléaire, connu aux États-Unis sous le nom d’Accord 123. Mais à toutes fins utiles, la partie américaine a unilatéralement
interrompu le travail dans ce cadre en 2014.
La situation entourant l’Accord sur la gestion et
l’élimination du plutonium (PMDA) du 20
août 2000 (signé à Moscou) et du 1er septembre suivant (à Washington)
nous laisse perplexes et alarmés. Conformément au protocole de cet accord, les
parties devaient prendre des mesures réciproques pour convertir
irréversiblement le plutonium de qualité militaire en combustible à oxyde mixte
(MOX) et le brûler dans des centrales nucléaires, afin qu’il ne puisse plus
être utilisé à des fins militaires. Tout changement dans cette
méthode n’était autorisé qu’avec le consentement des deux parties. Ceci est
écrit dans l’accord et les protocoles.
Qu’a fait la Russie ?
Nous avons développé ce combustible, construit une usine pour la production de
masse et, comme nous l’avions promis dans l’accord, construit une usine BN-800
qui nous a permis de brûler ce carburant en toute sécurité. Je voudrais souligner que la Russie a rempli tous ses engagements.
Qu’ont fait nos partenaires
américains ? Ils ont commencé à construire une usine sur le site
de Savannah River. Son coût initial était de 4,86 milliards de dollars, mais
ils ont dépensé près de 8 milliards de dollars, ont avancé la construction à
70% et ont ensuite gelé le projet. Mais, à notre connaissance, la demande de
budget pour 2018 comprend 270 millions de dollars pour la fermeture et la mise
sous cocon de cette installation. Comme d’habitude, une question se pose :
où est l’argent ? Probablement volé. Ou ils ont
mal calculé quelque chose lors de la planification de sa construction. De telles
choses arrivent. Elles arrivent ici trop souvent. Mais cela ne nous intéresse
pas, ce n’est pas notre affaire. Nous sommes intéressés par ce
qui se passe avec l’uranium et le plutonium. Qu’en est-il de
l’élimination du plutonium ? La dilution et le stockage géologique du
plutonium sont suggérés. Mais cela contredit totalement l’esprit et la lettre
de l’accord et, surtout, ne garantit pas que la dilution ne soit pas
reconvertie plus tard en plutonium de qualité militaire. Tout cela est très
regrettable et déroutant.
Ensuite, la Russie a ratifié
le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires il y a plus de 17 ans.
Les États-Unis ne l’ont pas encore fait.
Une masse critique de
problèmes finissent pas s’accumuler et affecter la sécurité globale. Comme on
le sait, en 2002, les États-Unis se sont retirés du Traité sur les missiles
anti-balistiques. Et bien qu’ils aient été les initiateurs de la Convention sur
l’interdiction des armes chimiques et sur la sécurité internationale, ils ont
eux-mêmes pris l’initiative de cet accord, ils ne respectent pas leurs
engagements. Ils restent à ce jour le seul et le plus grand détenteur de cette
forme d’arme de destruction massive. De plus, les États-Unis ont repoussé la
date butoir pour l’élimination de leurs armes chimiques de 2007 à 2023. Cela ne
semble pas approprié pour une nation qui prétend être une championne de la
non-prolifération et du contrôle.
En Russie, au contraire, le
processus s’est achevé le 27 septembre de cette année. Ce faisant, notre pays a
contribué de manière significative au renforcement de la sécurité
internationale. À ce propos, les médias occidentaux ont préféré garder le silence,
ne pas le faire remarquer, bien qu’il y ait eu une brève mention quelque part
au Canada, mais c’est tout, et depuis c’est le silence. Pendant ce temps,
l’arsenal d’armes chimiques stocké par l’Union soviétique aurait suffi à
détruire la vie sur la planète plusieurs fois.
Je crois qu’il est temps
d’abandonner cet agenda obsolète. Je parle de ce qui a été. Sans aucun doute,
nous devrions regarder vers l’avenir. Nous devons arrêter de regarder en
arrière. Je parle de cela pour comprendre les origines de la situation actuelle
qui se dessine.
Il est grand temps d’engager
une discussion franche au sein de la communauté mondiale plutôt que de se
limiter à un groupe de personnes choisies, prétendument les plus dignes et les
plus avancées. Je veux parler des représentants de différents continents,
traditions culturelles et historiques, de différents systèmes politiques et
économiques. Dans un monde en évolution, nous ne pouvons pas nous permettre
d’être inflexibles, fermés ou incapables de réagir clairement et rapidement. C’est
notre responsabilité pour l’avenir – c’est ce qui devrait nous unir, surtout
dans les moments actuels où tout change rapidement.
Jamais auparavant l’humanité
n’a possédé un tel pouvoir comme elle l’a maintenant. Le pouvoir sur la nature,
l’espace, les communications et sa propre existence. Cependant, ce pouvoir est
diffus : ses éléments sont entre les mains d’États, d’entreprises,
d’associations publiques et religieuses, et même de particuliers. Clairement,
exploiter tous ces éléments dans une architecture unique, efficace et gérable
n’est pas une tâche facile. Il faudra un travail dur et
laborieux pour y parvenir. Et la Russie, je le ferai remarquer, est prête à y
participer avec tous les partenaires intéressés.
Chers collègues, comment
voyons-nous l’avenir de l’ordre international et du système de gouvernance
mondiale ? Par exemple, en 2045, quand l’ONU marquera son
centenaire ? Sa création est devenue un symbole du fait que l’humanité,
malgré tout, est capable de développer des règles communes de conduite et de
les suivre. Chaque fois que ces règles n’ont pas été respectées, cela a
entraîné inévitablement des crises et d’autres conséquences négatives.
Cependant, au cours des
dernières décennies, plusieurs tentatives ont été faites pour minimiser le rôle
de cette organisation, la discréditer ou simplement en prendre le contrôle.
Toutes ces tentatives ont échoué, ou ont atteint une impasse. À notre avis,
l’ONU, avec sa légitimité universelle, doit rester le centre du système
international. Notre objectif commun est d’accroître son autorité
et son efficacité. Il n’y a pas d’alternative à l’ONU aujourd’hui.
En ce qui concerne le droit de
veto au Conseil de sécurité, qui est parfois contesté, vous pouvez vous
rappeler que ce mécanisme a été conçu et créé pour éviter la confrontation
directe des États les plus puissants, en tant que garantie contre l’arbitraire
et l’insouciance. Aucun pays, même le plus influent, ne pouvait plus
donner une apparence de légitimité à ses actions agressives.
Des réformes sont nécessaires,
le système des Nations Unies doit être amélioré, mais les réformes ne peuvent
être que progressives et évolutives et, bien sûr, elles doivent être soutenues
par l’écrasante majorité des participants au processus international au sein
même de l’organisation, par un large consensus.
La garantie de l’efficacité de
l’ONU réside dans sa nature représentative. La majorité absolue des États
souverains du monde y est représentée. Les principes fondamentaux de l’ONU
devraient être préservés pendant des années et même des décennies, car il
n’existe aucune autre entité capable de refléter toute la palette de la
politique internationale.
Aujourd’hui, de nouveaux
centres d’influence et de nouveaux modèles de croissance émergent, des
alliances civilisationnelles et des associations politiques et économiques
prennent forme. Cette diversité ne se prête pas à l’unification. Nous devons
donc nous efforcer d’harmoniser la coopération. Les organisations régionales
d’Eurasie, d’Amérique, d’Afrique et de la région Asie-Pacifique devraient agir
sous les auspices des Nations Unies et coordonner leurs travaux.
Cependant, chaque association a
le droit de fonctionner selon ses propres idées et principes qui correspondent
à ses spécificités culturelles, historiques et géographiques. Il est important
de combiner l’interdépendance mondiale et l’ouverture avec la préservation de
l’identité unique de chaque nation et de chaque région. Nous devons respecter
la souveraineté comme base de tout le système des relations internationales.
Chers collègues, peu importe
les hauteurs extraordinaires que la technologie peut atteindre, l’histoire est,
bien sûr, faite par les humains. L’histoire est faite par les
gens, avec toutes leurs forces et leurs faiblesses, leurs grandes réalisations
et leurs erreurs. Nous ne pouvons qu’avoir un
avenir partagé. Il ne peut pas y avoir d’avenir séparé pour nous, au moins, pas
dans le monde moderne. Ainsi, la responsabilité de faire en sorte que ce monde
soit libre de conflits et prospère incombe à l’ensemble de la communauté
internationale.
Comme vous le savez peut-être,
le 19e Festival mondial de la jeunesse et des étudiants a lieu
à Sotchi. Des jeunes de dizaines de pays interagissent avec leurs pairs et
discutent de sujets qui les concernent. Ils ne sont pas entravés par des
différences culturelles, nationales ou politiques, et ils rêvent tous de
l’avenir. Ils croient que leur vie, la vie des jeunes générations, sera
meilleure, plus juste et plus sûre. Notre responsabilité aujourd’hui est de
faire de notre mieux pour nous assurer que ces espoirs se réalisent.
Merci beaucoup pour votre
attention.
Vladimir Poutine
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